Ce matin, la pluie tombe doucement, régulièrement. Petites averses qui laissent passer le soleil à leur guise, elles jouent à cache-cache avec lui depuis quelques heures. C'est un jeu que la nature adore, dorlotée de lumière et rafraîchie ensuite, tout ce qui lui faut. Après un été qui a à nouveau battu des records de chaleur et de sécheresse, on se réjouit pour la terre de retrouver la fraîcheur du matin, la rosée nous mouille les pieds et sent bon la verdure.
Voici le récit de notre dernier mois de voyage, depuis notre départ de Belgique il y a un mois...
Le voyage reprend, plus nécessaire encore...
À nouveau sur la route, à nouveau dans notre bulle à quatre (cinq avec le chien, pardon Gab). Patience, il faut du temps pour que la tension accumulée ces dernières semaines s'évapore. Et pourtant ce qui nous occupait occupe chaque citoyen ; impôts, formulaires, factures, administration. Ces contraintes bénignes sont désormais ressenties comme une entrave à notre liberté. Amer rappel du fonctionnement de notre société, auquel personne n'échappe, ou presque. Bien sûr nous payons ce prix acide mais dérisoire au regard de l'aventure que l'on crée tous les jours depuis des mois, que l'on continuera d'inventer demain. On ne va quand même pas se plaindre… Et pourquoi pas d'ailleurs ? On va se plaindre, préparez-vous, écoutez-nous.
On accuse notre gouvernement de réglementer l'accès à l'instruction libre, au goût et aux besoins de chacun.
On accuse le système économique et bancaire d'asservir les hommes, de les contraindre au travail pour faire exister des richesses qui ne leur reviendront jamais.
On accuse les médias de nous clouer dans nos fauteuils, véhiculant la peur de l'autre, la peur de l'avenir, la gloire de la consommation et de la possession.
On accuse les dirigeants sans scrupule, sans âme, qui d'une signature peuvent fermer des frontières, rejeter des hommes et des femmes à la mer, justifier des taxes qui appauvrissent davantage ceux qui sont déjà démunis.
On accuse notre égo d'être humain qui a besoin d'exister quoi qu'il en coûte, qui se regarde du haut de sa situation, qui juge sans remettre en question. Il faut lui apprendre à se taire sans tarder.
Que l'on puisse chacun faire le choix d'une vie qui nous convient, respectueusement, que l'on puisse ouvrir notre cœur à tout ce que l'on souhaitera, que l'on puisse exister sans conditions…
Alors après l'accusation, place à la défense. Nous sommes de fervents défenseur de la liberté, vous l'aurez compris.
On croit en la capacité de chacun à se mettre en projet et à inventer l'existence qui lui plaira.
On croit en la force de vie qui nous anime, tous, et qui peut construire ou démolir, à l'infini.
On croit en l'esprit collectif, coopératif, qui nous sortira de la compétition et de l'escalade à la meilleure vie, réelle ou virtuelle.
On croit en l'apprentissage spontané, à l'enthousiasme source de créativité, de curiosité et d'ingéniosité.
On croit en l'avenir, même incertain, qu'on construit quotidiennement, quelles que soient nos contraintes.
Et puis on admire…
On admire tous ceux qui se battent contre l'injustice, contre la maladie, contre l'individualisme.
On admire ceux qui vivent jusqu'au bout de leurs valeurs, qui questionnent surtout ce qui dérange, qui déplacent des montagnes pour que l'horizon soit accessible à tous.
On admire les pas de côté, les révoltes, les trésors de courage et l'émerveillement des choses simples...
Simone de Beauvoir disait : "Le secret c'est de vivre comme tout le monde mais n'être comme personne."
Baie de Somme
Après le tumulte intérieur, le calme revient.
Le soleil tire sa révérence quotidienne sur la Baie de Somme, enveloppant le grand tout d'une peinture orange et or. Le ciel est dégagé, quelques brumes planent au-dessus du soleil couchant et semblent dessiner un autre monde. Les mouettes sont bruyantes, leurs cris ressemblent à des bruitages mal faits tant ils sont caricaturaux. Lorsque le vent souffle, même les bourdons peinent à rester sur leur fleur, il balaie l'herbe qui recouvre les rives de la Somme et c'est comme une mer verte qui ondule. Le sable paraît fin et humide mais c'est de l'argile qui borde l'eau, quand on s'approche, nos pieds s'enfoncent dans la boue sombre. Léa et Gab en ont jusqu'aux genoux et pataugent allègrement dans cette marée noire naturelle.
Les balades sont longues, tantôt tranquilles, tantôt excitantes. Que c'est délicieux de retrouver le voyage, la découverte, le temps, l'apaisement.
Lancheres
On n'a pas l'habitude de voir la mer plus claire que le ciel. Pourtant, l'eau est blanche opale sous les nuages gris de l'orage qui gronde au loin. De gros rouleaux sombres, gorgée d'une pluie qui ne saurait tarder à nous parvenir. C'est magnifique, on se croirait au bout du monde. Les pieds dans un océan de galets ronds qui dévalent vers le rivage blanc, on contemple notre cadeau du jour.
Plein de rochers à escalader, Gabriel semble ne jamais en avoir assez. Il est infatigable, avide, fier de son audace et heureux d'assouvir son besoin de bouger. Lucky le suit partout, dans l'espoir qu'il se mette à jouer. On les voit alors tous les deux se courir après, se rouler en boule, leurs énergies se connectent et ça dure des heures. Deux chiots qui se fatiguent mutuellement, qui comparent leur force autant que leur malice.
Ça laisse de longues plages de papote avec Léa, elle n'est pas mécontente que le petit dernier de la famille prenne le relais quand elle a envie ou besoin d'un moment calme.
Les habitudes reprennent leur place, l'imprévu aussi. C'est bon de se sentir à nouveau tous en chemin, tous dans notre bulle extensible.
Quelque part au sud de Rouen
Voilà deux jours que nous avons une voyageuse en plus à bord. Notre amie Marie nous a rejoint pour une semaine, jusqu'au congrès à Angers auquel nous participons ensemble. Nous l'avons embarquée à la sortie de son train à Rouen, en route pour les vacances. Nous sommes heureux de partager notre mode de vie avec elle, nos habitudes autant que nos découvertes. Balade en forêt et collection de cabanes. Nous en découvrons une nouvelle tous les deux cents mètres, faite de branches et de troncs, grande ou petite, avec ou sans aménagement intérieur. On se demande qui a construit ces abris éphémères, depuis combien de temps ils sont debout. On commence à les classer, à établir des critères de préférence : peut-on s'y tenir debout ? Est-elle facilement accessible ? Y a-t-il un toit ? De retour au camping car, Gabriel entreprend de les dessiner, de lister tous les indispensables d'une cabane digne de ce nom. Le temps partagé avec Marie est indescriptiblement doux et sucré ; des jeux, des discussions, du thé, des pancakes et des saute-moutons. On aurait aimé la garder plus longtemps…
Angers, Congrès ICEM
Nous sommes arrivés à notre rendez-vous de la fin de l'été, le Congrès de pédagogie Freinet (ICEM). A Angers, dans le lycée agricole de Fresne, un petit millier d'enseignants, directeurs et autres travailleurs de l'école se retrouvent pour partager leurs pratiques, leurs valeurs, leurs projections pour demain, et leurs peurs pour aujourd'hui. C'est une réflexion éducationnelle, philosophique, sociologique, politique,... rien que ça !
Au milieu de tous ces ateliers, conférences et débats, un espace enfants est ouvert. Léa et Gab s'en emparent et apprécient toutes les activités proposées autant que tous les nouveaux copains. Chaque jour, ils reviennent, une ribambelle d'enfants sur leurs talons, avec de nouvelles expériences à nous raconter. C'est un vrai bonheur de savoir qu'ils vivent d'autres choses, qu'ils profitent d'autres apports. Ces trois jours passeront vite mais laisseront une empreinte vivace, de fortes amitiés, de nouveaux apprentissages.
Le long de la Loire, à l'est de Nantes
Nous longeons la Loire depuis Angers, abordant le fleuve à différents endroits, quelle vision étrange... Son niveau est incroyablement bas, une rivière étroite, un petit ruisseau, et puis seulement quelques flaques, peu avant Nantes. Ce fleuve si majestueux et opulent de verdure a perdu de sa prestance, laissant derrière lui un paysage lunaire, son lit vide et craquelé...
Voyager semble élargir le champ de conscience du monde. Tout ce que l'on rencontre alimente notre questionnement sur le fonctionnement de cette immense toupie qu'est notre planète. Les contrastes sont sans doute les éléments qui sautent le plus aux yeux. Contraste entre ces hypermarchés gigantesques et les petits marchés locaux où les clients et les producteurs se connaissent. Contraste entre les villes grises aux passants froids et distants et les coins reculés où la nature est reine. On perçoit nettement les symptômes de la maladie mondialiste. Mais comment arrêter cette machinerie infernale qui dévaste tout sur son passage ? Il est devenu tout à fait normal d'avoir de l'eau à volonté, de l'électricité, des variétés infinies de légumes et de fruits, du mazout,... Mais à quel prix ? Lorsqu'on commence à le calculer, lorsqu'on soulève le voile, lorsqu'on entrevoit cette réalité, aucune marche arrière ne semble possible. Nous ne pouvons pas remonter dans ce train à grande vitesse, dévalisant les magasins, travaillant jusqu'à pas d'heure, respirant les gaz toxiques de la surconsommation. Nous choisissons autre chose, nous ne savons peut-être pas encore quoi, mais pas "ça".
Lavau-sur-Loire, Bretagne
Hier, nous avons attrapé Hélène et Steve à la sortie de leur train à Nantes. Ils viennent passer quelques jours avec nous. Cela fait presque deux ans que nous ne les avons pas serrés dans nos bras, habitués à les savoir de l'autre côté de l'Atlantique. Ils ont profité de leur visite en Belgique pour venir nous rejoindre, pour partager avec nous l'ambiance de la vie sur la route.
Nous avons trouvé un petit coin de paradis au bord d'une carrière de pierres. L'eau est profonde et douce. Un premier tour de l'étang nous permet de repérer les meilleurs rochers d'où sauter et la corde attachée à un arbre, histoire de jouer à Tarzan avant de se lâcher dans l'eau. L'appréhension du saut laisse rapidement place au plaisir et on répète l'exercice jusqu'à s'échouer sur la rive, ivre de fatigue.
Sainte Hermine, Vendée
Les parcs sont vides, les écoles sont pleines, c'est la rentrée. Impossible de passer à côté de l'événement, c'est le refrain du moment. Les étalages des magasins sont remplis de fournitures, toutes les boutiques en font leur credo. Et même si on ne s'en était pas rendus compte, la plupart des promeneurs que nous rencontrons nous le rappellent et tapotant la tête de nos bambins. "Pas pour nous !" répond fièrement Gabriel. Nous, on emmène notre école partout avec nous… Dans cette partie de la France, la plupart des endroits où nous posons nos quatre roues sont des aires de pique-nique, des parcs ou des plaines de jeux. On y croise des familles, des promeneurs avec leurs chiens, au plus grand bonheur du nôtre. La météo est juste parfaite, du soleil, du vent, et une température délicieuse. Lorsque le soir tombe, les lieux se vident de leurs habitués et l'espace est juste à nous. Une balade digestive le long de la rivière, dans la pénombre du soir. Un fin croissant de lune s'est accroché comme une boucle d'oreille au dernier nuage présent dans le ciel sombre. La fraîcheur envahit le camping-car, les moustiques se font plus rares, on ne demande rien de plus.
Pointe de l'aiguillon, en face de l'île de Ré
Marée basse, soleil haut, sable humide et rochers abrasifs, le décor de bord de mer nous avait manqué, encore. Nous nous baladons sur la plage, la marée descend et remonte à une vitesse incroyable. Le vent est arrivé tard dans l'après midi, comme s'il avait oublié de se lever. Le chien court après le bâton qu'on lui lance, il galope le long des premières vagues, trempé de joie. L'escalade des rochers reste une des activités préférées de nos aventuriers, ils sont gâtés sur cette partie du littoral vendéen. On croise beaucoup de monde à marée basse, armés d'un seau, de bottes et d'un grattoir, ils partent à la chasse aux palourdes. On les voit remonter, fier de leur récolte, en route pour une soupe de coquillages mémorable.
Après ces retrouvailles avec l'Atlantique, nous décidons de rouler plus intensivement vers le département de l'Aude où l'oncle et la tante de Laurent habitent. Quelques centaines de kilomètres à parcourir, quelques degrés supplémentaires au thermomètre, quelques escales encore avant l'Italie... Une nouvelle langue, une nouvelle culture nous attendent, on a hâte !
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